Décembre 2021. La période de fin d’année, dans les pays occidentaux, est l’occasion de voir déferler de multiples publicités prônant la sobriété au volant ou décourageant une consommation trop élevée. Cette convergence des publicités évoluant autour du même problème de sécurité routière, au même moment, offre une belle occasion de constater la diversité des stratégies que différents promoteurs utilisent pour produire des publicités ayant le même but.
C’est aussi l’occasion de réaliser que la personnalité de l’annonceur est un déterminant majeur du choix de la stratégie. Selon qu’un annonceur évolue dans le milieu policier, sanitaire ou scientifique; selon qu’il possède une formation en administration, en communication ou en psychologie; selon qu’il évolue dans un environnement plein de conventions ou encore dans un univers où l’émotion prime … ses choix et ses décisions publicitaires le poussent à choisir une stratégie qui cadre avec sa personnalité.
En fait, même si on convient théoriquement qu’une publicité sociale doit être conçue pour répondre aux publics auxquels on la destine, on s’aperçoit souvent que les campagnes de publicité sociale trahissent davantage la nature de leurs producteurs que celle de leurs cibles.
C’est une leçon que les créatifs publicitaires travaillant dans les agences apprennent rapidement : ce n’est pas tant l’idée brillante ou le trait de génie qui sont évalués lors des présentations aux clients… c’est davantage l’adéquation entre le projet et la personnalité de son client. Car la subjectivité généralement fréquente des clients ponctuels (j’exclus ici les professionnels des unités de communication formés et habitués à pareil exercice), lorsque vient le temps de retenir le meilleur projet publicitaire, confirme le rôle déterminant de la personne en situation de décision.
Pendant la douzaine d’années où j’intervenais plus directement dans les prétests publicitaires d’institutions publiques, j’ai souvent vu de magnifiques et brillantes idées créatives anéanties par l’incapacité de décideurs à distinguer l’effet souhaité sur le public d’une part, et leurs émotions et réactions individuelles d’autre part. Tel projet ne semblait « pas assez sérieux », tel autre utilisait « un vocabulaire trop populaire pour une institution », tel autre « montrait une image humoristique critiquant les fonctionnaires ». Le résultat retenu, lors de la présentation de deux ou trois possibilités de publicité, s’accordait généralement à ce qui était fait depuis des années, au tempérament ou à la personnalité du responsable en situation de décision.
Pour preuve du
phénomène, je vous montre trois campagnes européennes sur un thème identique.
Toutes diffusées en décembre 2021, elles montrent trois choix publicitaires
valables mais différents, dont l’efficacité reste à mesurer, mais dont on distingue
qu’elles proviennent de trois univers distincts.
· Dans la publicité britannique signée par les
autorités policières du Kent, c’est la dissuasion exemplaire qui prime. On montre
des conséquences négatives claires, on ressent un appel à la tristesse et au
regret (émanant de la bande sonore) assorti d’images de deuil et de perte, sans
toutefois tomber dans l’émotion violente. Au final, on y trouve un paternalisme
protecteur de l’annonceur qui dit « Je veux ton bien ». L’injonction
est claire et vient de l’autorité. https://www.youtube.com/watch?v=ADSWgK_yP44
· Dans la publicité belge signée par l’autorité spécialisée en sécurité routière, on permet au spectateur de se placer à la place du conducteur potentiel. La perte évoquée est celle du bonheur, de l’amour, de ce qui est désirable ou souhaitable. L’annonceur se place aux côtés du spectateur et lui dit « Préservons le bonheur à venir ». C’est un plaidoyer davantage qu’une injonction, la perte est évoquée plus que nommée. La métaphore visuelle qui est utilisée génère souvent une réception positive du message, plusieurs spectateurs appréciant un message sans paternalisme qui fait appel à leur intelligence. https://urlz.fr/gYTc
· Dans la publicité française, signée par l’autorité gouvernementale, la perte est laissée de côté. On y trouve plutôt l’amitié, la solidarité, la complicité. Le geste préventif est un geste amical, venant des pairs. L’argumentation utilise un ton humoristique et paradoxalement, pour une publicité signée par l’État, le message est véhiculé sur une tonalité informelle et humaine. L’annonceur utilise un jeu de mots, technique qui fait appel à l’intelligence du spectateur , une méthode dépourvue de paternalisme disant que chacun peut avoir ses propres mots pour agir. Un appel à l’intelligence du spectateur générant souvent une réceptivité sympathique. https://www.youtube.com/watch?v=kfhP1wjwDEw
On le voit : un seul et même thème, trois publicités. Trois cultures, trois institutions différentes… et trois façons différentes de traiter d’un même risque pour la vie. Trois façons de faire teintées de l’ADN de l’annonceur qui diffuse ces messages.
Il est normal de trouver « l’ADN » de l’annonceur dans toute publicité. Tout comme il est normal de constater qu’une publicité s’insère dans le milieu culturel d’où elle vient, en tenant compte des particularités propres à chaque culture. Ce n’est pas un problème. Mais pareil constat relativise la neutralité des choix publicitaires et laisse deviner que si, malheureusement, les particularités de l’annonceur l’empêchent de considérer objectivement des projets publicitaires avec lesquelles il est moins à l’aise, il risque probablement de limiter lui-même le potentiel de succès de ses campagnes.
La question est là. Notre intuition, les habitudes de notre entreprise, les préférences de notre institution sont-elles des critères appropriés pour bloquer un projet de publicité montrant un bon potentiel d’efficacité ? Ces critères suffisent-ils à juger de la valeur d’une proposition publicitaire ? À vous de répondre.