L’utilisation de cartons par les sdf: leçons à tirer pour la publicité sociale    

crédit photo: http://www.ayoye.com/videos/ce-sdf-semble-comme-tous-les-autres-mais-il-cache-un-truc-incroyable-dans-son-garage-57f7ed5093dea


L’article: Boster, F. J., Liu, R. W., Poorisat, T., Cheng, Y., Kim, W., Salmon-Seidmann, N. D., et Salmon, C. T. (2016). Communicating to influence perceptions of social stigma: Implications for the use of signs by the homeless as a means of soliciting funds. American Behavioral Scientist, 60(11), 1293-1305


Friske (2002) et ses collègues ont analysé les stéréotypes associés à certains groupes sociaux. Dans leur réflexion, ils ont observé certains stéréotypes véhiculent une valeur positive, alors que les autres ont une valeur négative : certains groupes seront perçus d’emblée comme aimables et charmants (c’est le cas des ménagères et des épouses à la maison disent les auteurs), tandis que d’autres seront perçus comme désagréables (c’est le cas des gens riches).


Les chercheurs croient que ces modulations dans la perception stéréotypée de groupes repose sur leur positionnement sur deux axes: la chaleur et la compétence. « We argue ( … ) that stereotypes are captured by two dimensions (warmth and competence) and that subjectively positive stereotypes on one dimension do not contradict prejudice but often are functionnaly consistent with the inflattering stereotypes on the other dimension » (Fiske et al., 2002, p. 878).


La composante « chaleur » est associée à des qualificatifs comme : fiable, tolérant, amical ; la composante « compétence » est plutôt associée à l’efficacité, l’intelligence, au fait de posséder des connaissances (Boster et al., 2016).


Pour illustrer leur propos, Fiske et ses collègues utilisent l’exemple de deux groupes. Le premier groupe stéréotypé, non-compétitif, est celui des personnes âgées. On y trouve une composante « chaleur » élevée et une faible composante « compétence ». La résultante est donc une perception favorable. Le second groupe stéréotypé est celui des Asiatiques, perçu comme compétitif. Le stéréotype partagé comporte une forte composante « compétence », mais une faible composante de la dimension « chaleur ». la perception publique tend vers le ressentiment.


L’image stéréotypée des itinérants 


L’hypothèse de Fiske a récemment été employée par Boster et son équipe (2016) pour étudier l’utilisation d’affiches de carton par des personnes sans-abri dans la sollicitation de passants. Les chercheurs présentent dans leur publication une réflexion pertinente pour ceux qui s’intéressent à la publicité sociale en général ou ceux qui réfléchissent à la production d’une campagne pour lutter contre les préjugés envers les itinérants.


La perception publique des sdf (qu’on désigne aussi comme sans–abri, mendiants, itinérants, … ) est négative. Ils sont jugés comme étant sans importance, malhonnêtes, irresponsables, peu intelligents (Boster et al., 2016). Pour Boster et ses collègues, ce portrait stigmatisant repose sur des perceptions sociales. Ils considèrent donc qu’on peut l’améliorer en influençant les perceptions qui construisent le stéréotype. D’autres auteurs se sont intéressés à la lutte contre les préjugés envers les sdf (Morrison, Roman, & Borges, 2012; Phelan, Link, Moore, & Stueve, 1997; Toro & McDonell, 1992). Mais l’approche de Boster est inédite et originale, ce qui explique l’intérêt de la présenter sur pubsociale.com.


La principale conclusion de l’article de Boster est qu’il est possible et nécessaire de modifier l’image des itinérants : « the importance of humanizing the homeless in the eyes of their fellow citizens in a more effective manner» (Boster et al., 2016, p. 1303). Et l’hypothèse de Friske offre une piste théorique permettant d’œuvrer en ce sens. 


Et les cartons, ça marche ?


Par ailleurs, Boster et ses collègues ont examiné l’utilisation de cartons, humoristiques ou non, par les itinérants qui servent à interpeller les passants pour obtenir des dons. Et les résultats de l‘examen intéresseront probablement les promoteurs de campagnes.


Les auteurs ont constaté que l’affiche sur carton est une stratégie inefficace.


Selon eux, le fait d’être interpellé de façon explicite (humoristique ou non) provoque un inconfort chez les passants. Le malaise suscité chez ceux qui sont exposés aux affiches est contre-productif, entraînant plutôt un comportement d’évitement. Un phénomène que les éventuels promoteurs d’une campagne de lutte contre les préjugés envers les démunis devraient considérer dans leur réflexion. La présentation de la douleur, de la misère et de la détresse pourrait être une stratégie efficace pour faire naître l’émotion, mais les personnes exposées pourraient choisir de se détourner du message pour mettre fin au malaise lié à la montée de la culpabilité ou de la honte : «  Unpleasant affect, such as shame, may arise. Unpleasant cognitions, such as imagining how one might find oneself in the same position, may arise. Negative thought and affect, particularly when coupled with the well-documented desire to believe in a just world » (p.1303)


Les chercheurs se sont aussi demandés pourquoi les sdf utilisent ces cartons malgré l’inefficacité de la technique. Avec une pointe d’humour, ils ont évidemment reconnu que les personnes qui mendient ne font pas d’études à double insu pour vérifier l’efficacité de leur technique ou déterminer quel serait le contenu idéal à inscrire pour récolter des dons. Ils estiment cependant que l’utilisation d’affiches répond surtout au besoin de capter l’attention des passants, contrant l’indifférence. Un défi identique à celui des publicitaires. Les sdf savent trop bien que pour obtenir l’aide des passants, il faut être vu en premier lieu. Malheureusement, notent les auteurs, la technique utilisée s’avère nuisible aux dons.


Les chercheurs appuient leur analyse sur trois expérimentations confirmant l’inefficacité (et même la contreproductivité) des affiches utilisées par les itinérants, peu importe qu’elles utilisent l’humour (avec des textes comme «  Moi au moins je ne vous emmerde pas avec un accordéon ») ou non (avec des textes comme « SVP J’ai faim – aidez-moi ».


crédit: http://www.tuxboard.com/photographie-moi-un-sourire-svp-cartons-de-sdf-humoristiques/


crédit: https://peppypress.wordpress.com/2015/02/04/sdf-a-paris-au-21eme-siecle/

 




Sources mentionnées


Boster, F. J., Liu, R. W., Poorisat, T., Cheng, Y., Kim, W., Salmon-Seidmann, N. D., et Salmon, C. T. (2016). Communicating to influence perceptions of social stigma: Implications for the use of signs by the homeless as a means of soliciting funds. American Behavioral Scientist, 60(11), 1293-1305

Fiske, S. T., Cuddy, A. J. C., Glick, P., et Xu, J. (2002). A model of (often mixed) stereotype content: Competence and warmth respectively follow from perceived status and competition. Journal of Personality and Social Psychology, 82(6), 878-902

Morrison, A., Roman, B., et Borges, N. (2012). Psychiatry and emergency medicine: Medical student and physician attitudes toward homeless persons. Academic Psychiatry, 36(3), 211-215

Phelan, J., Link, B. G., Moore, R. E., et Stueve, A. (1997). The stigma of homelessness: The impact of the label "homeless" on attitudes toward poor persons". Social Psychology Quarterly, 60(4), 323-337

Toro, P. A., et McDonell, D. M. (1992). Beliefs, attitudes, and knowledge about homelessness - a survey of the general public. American Journal of Community Psychology, 20(1), 53-80

 

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