Comme d’autres spécialistes en publicité sociale, je me heurte périodiquement au scepticisme de personnes doutant de la valeur du marketing ou de la publicité. C’est parfois le fait du commun des mortels, parfois aussi la position d’ex-publicitaires ayant réalisé qu’un spécialiste du domaine qui dénonce la publicité obtient facilement une visibilité médiatique. Inutile, Inefficace. Gaspillage. Les jugements sans appel et lapidaires pleuvent.
Qu’en est-il vraiment ? Vous croyez que la publicité ne change rien aux comportements ? Voici pourtant un cas qui semble démontrer le contraire.
L’article présenté ici aborde l’efficacité du marketing de boissons énergisantes, des produits tels que Red Bull, Monster, Hell, Hype, etc. Bien entendu, l’effet problématique discuté n’est pas sciemment visé par les promoteurs. Mais c’est un effet secondaire réel et observé dans le comportement des consommateurs qui combinent l’alcool et ces produits. Un effet ne reposant ni sur la biologie, ni sur la pharmacologie. Un effet pouvant être lié aux activités de marketing entourant ces boissons.
Nous traiterons donc dans ce billet de l’article de Cornil, Chandon, & Krishna (2017) publié en octobre 2017 dans le Journal of Consumer Psychology, Les chercheurs y montrent le lien entre les comportements inappropriés des consommateurs et le marketing, qui aurait créé chez les buveurs la perception que les boissons énergisantes potentialisent l’effet de l’alcool en favorisant des comportements extrêmes.
Établissant d’entrée de jeu le fait que la consommation concomitante d’alcool et de boissons énergisantes peut être liée à des comportements problématiques (le mélange pouvant doubler le risque de subir ou de commettre une agression sexuelle ou d’avoir un accident de la route) les auteurs ont abordé le phénomène sous l’angle psychologique plutôt que pharmacologique. L’approche est nouvelle et intéressante. Au-delà du produit et des molécules en présence, Cornil et ses collègues ont choisi d’étudier les déterminants psychiques des comportements observés. Des attentes qu’ils rattachent ensuite au marketing des produits énergisants.
La question posée se résume ainsi : « Est-il possible que les effets particuliers observés lors du mélange d’alcool et de boissons énergisantes soient liés à un effet placebo résultant du marketing plutôt qu’à une interaction pharmacologique? » Soutenant l’hypothèse des auteurs, des études précédentes avaient confirmé que le marketing de boissons énergisantes (prix, logos, étiquettes) affectait la résolution de problèmes, les réflexes ou la performance à un jeu vidéo des consommateurs. Il s’agissait à présent d’étudier le lien entre le marketing et les comportements indésirables qu’on pouvait constater.
L’expérimentation
En modifiant uniquement l’identification donnée au produit alcoolisé consommé (dont la teneur demeurait identique pour tous les sujets), on demandait aux participants de boire le cocktail en 10 minutes. Cette consommation se déroulait dans une ambiance musicale s’approchant de celle des bars. On présentait ensuite aux personnes des activités effectuées sur un ordinateur pendant 30 minutes. L’analyse de l’agressivité sexuelle, de la confiance en soi sexuelle et de la prise de risques reposaient finalement sur différentes techniques.
Les résultats
Les résultats démontrent que le seul fait de parler de « Vodka-RedBull », comparativement à un mélange identique uniquement désigné comme « Vodka », augmentait chez les jeunes hommes la sensation d’intoxication, la propension à la prise de risque, et la confiance en soi. Paradoxalement, on observait aussi chez les consommateurs conscients d’avoir bu un mélange Vodka-RedBull une tendance à attendre plus longtemps avant de prendre la route.
Tous les participants ont été capables de repérer la présence d’alcool dans les boissons consommées et d’approximer la concentration éthylique. Par contre, le fait de le mentionner ou non la présence de boisson énergisante changeait beaucoup la perception du produit dans le liquide bu.
Les chercheurs ont pu démontrer que le simple fait d’identifier la présence de boisson énergisante dans le mélange suffisait à induire des modifications des variables mesurées. Ils ont formulé l’hypothèse qu’un effet placebo se manifestait, amenant les consommateurs à ressentir une augmentation des effets de l’alcool lorsqu’ils croyaient prendre une boisson énergisante en même temps. Cette idée, en soi, se situe à l’opposé des hypothèses de pharmacologues qui présumaient que l’interaction alcool/boissons énergisantes résultait de la présence de caféine, qui masquerait les effets de l’alcool dans le mélange, entraînant une consommation d’alcool plus grande).
En conclusion de leur publication, Cornil et ses collègues recommandent d’agir sur le marketing des boissons énergisantes plutôt que de produire de nouvelles campagnes d’information portant sur les risque de la combinaison alcool/boissons énergisantes. Les fabricants ne devraient plus, selon eux, vanter les effets désinhibiteurs de ces boissons (« as in RedBull’s « Give you wings » campaign or Monster’s « Unleash the beast » campaign). Plutôt que la présence des composantes pharmacologiques, ce serait le marketing qui ferait d’un produit relativement inoffensif (innocuous ingredient) un placebo nuisible.
Pour les praticiens
Malgré les limites de l’étude mentionnées par les chercheurs, cet article ouvre une perspective fascinante en liant la mise en marché de produits intoxicants aux effets ressentis par les consommateurs.
Dans le domaine pharmaceutique, l’effet placebo est connu depuis des décennies et les producteurs s’en servent pour maximiser leurs profits (en choisissant la couleur d’un produit, son goût, son prix, sa distribution avec ou sans ordonnance, etc.). L’initiative est légale et éthique selon nous. L’effet placebo, rappelons le, ne signifie pas qu’un produit est inefficace… c’est une composante qui s’ajoute naturellement à l’efficacité (réelle ou non) d’une substance. L’effet placebo peut améliorer ou réduire (on parle alors d’effet nocebo) l’effet d’une molécule. Autant en tenir compte.
Dans l’univers des producteurs d’alcool, l’importance de l’emballage, de la texture, du prix ou des effets suggérés contribue aussi à la mise en marché.
Il était donc logique de présumer de la présence d’effet placebo dans l’action des boissons énergisantes. La difficulté consistait à en faire la démonstration et à en préciser le rôle dans certaines manifestations liées au produit.
Pour les promoteurs de campagnes liées à la santé publique
La mise en marché des boissons énergisantes misant sur l’idée de susciter des expériences intenses, les messages préventifs et des campagnes publicitaires qui affirmeraient l’importance du mélange alcool/boissons énergisantes en suggérant des effets exceptionnels pourrait même favoriser un usage de ce type chez les personnes qui recherchent des sensations fortes. On observerait alors le mécanisme promotionnel suggéré par Reinarman et Levine (1997) qui liait la popularité du crack en Amérique au discours public vantant ses ravages. À cet égard, nous pouvons lier le reportage de Fox News (ce le mélange d’alcool et de boissons énergisantes à la prise légale de cocaïne ) à une forme indirecte de promotion du produit auprès d’un public adepte de sensations fortes.
Et la mise en marché de la boisson Hell en Australie, dont témoigne le vidéo ci-dessous,
montre bien que ce segment de la population est la cible du marketing de tels produits, le groupe de High Sensation Seekers étant – incontestablement – un moteur important dans la consommation de boissons énergisantes.
Il pourrait donc être périlleux, pour les promoteurs de campagnes destinées à réduire la consommation de boissons énergisantes, d’amplifier la perception de risque, d’intensité, et d’effet psychotrope de ces produits. Par contre, pour les producteurs de telles boissons, des campagnes ou articles provenant de tiers évoquant le risque ou comparant leur produit à des drogues stimulantes licites stimuleraient les ventes sans pour autant être assimilés à une action marketing … augmentant du fait la crédibilité du message.
Une réponse aux sceptiques niant l’impact des investissements publicitaires …
L’article de Cornil et ses collaborateurs le besoin de considérer le marketing dans l’analyse des comportements indésirables impliquant les boissons énergisantes. Leur mise en marché – qu’on aime ou pas cette idée – agit et influence les consommateurs.
Puisque la publicité et les autres éléments du marketing peuvent accroître les risques de comportements inappropriés, pourquoi serait-il naïf de croire qu’elle peut aussi en réduire l’incidence ?
Articles cités
Cornil, Y., Chandon, P., & Krishna, A. (2017). Does Red Bull give wings to vodka? Placebo effects of marketing labels on perceived intoxication and risky attitudes and behaviors. Journal of Consumer Psychology, 27(4), 456-465. doi:10.1016/j.jcps.2017.03.003
Reinarman, C., & Levine, H. G. (1997). Crack in America : demon drugs and social justice. Berkeley: University of California Press.