L’équité publicitaire: un enjeu important si vous signez vos campagnes

Article: Rosengren, S., et Dahlen, M. (2015). Exploring advertising equity: How a brand's past advertising may affect consumer willingness to approach its future adsJournal of Advertising, 44(1), 1-13


Dans cette publication parue dans le Journal of Advertising, Rosengren et Dahlén (2015) ont introduit le concept d’équité publicitaire (advertising equity), une notion qui couvre la perception que le public se fait d’une marque à partir du cumul de son exposition aux publicités antérieures de la source. La notion d’équité publicitaire peut être rattachée aux travaux antérieurs de chercheurs en marketing qui se sont intéressés à la notion de branding (ou de marque).


Que vient faire le branding en publicité sociale, où la notion d’intérêt commercial est théoriquement inexistante? Si c’est ce que vous vous dites, détrompez-vous.


Même s’il n’est pas omniprésent, le  branding est au bien présent dans les pratiques de publicité sociale, comme l’exposent Drumwright et Murphy dans le chapitre « Corporate Societal Marketing » du Handbook of Marketing and Society.


Logos, site URL, slogan corporatif, nom du producteur, signature sonore… ces éléments ajoutés au message publicitaire font souvent partie des éléments imposés aux publicitaires par ceux qui s’associent à des causes et qui financent les campagnes. À cet égard, tant les entreprises commerciales que les pouvoirs publics signent les campagnes qu’ils soutiennent, de façon parfois ostentatoire. Dans certains cas, le soutien de partenaires à une cause se traduit par la simple présence de leur identification visuelle sur les pièces d’une campagne, comme dans la campagne ci-contre de sensibilisation à l’hypertension diffusée en 2011 au Canada.


On trouve parfois des campagnes comportant un nombre important de partenaires dont les signatures juxtaposées occupent une partie significative des publicités imprimées. C’est le cas de la campagne contre le sida illustrée  ici et diffusée à Mayotte. Des publicités de ce type permettent de représenter visuellement un effort collectif, une collaboration synergique de partenaires. Dans le cas de la publicité de Mayotte, on peut donc justifier l’abondance de signatures qui serait peut-être moins pertinente si le contexte était différent. Dans d’autres cas, on comprend que l’identification visuelle des partenaires répond aux objectifs de marketing corporatif des entreprises qui gagnent à s’associer à l’action préventive.


Les publicités de l’organisme Aides, qui travaille en promotion de la santé sexuelle, offrent un bon exemple de cette pratique dans l’imprimé, avec la signature visuelle de Aides bien en évidence sur les créations. La signature des promoteurs marque aussi les autres véhicules publicitaires : la pub radiophonique se termine par une phrase qui souligne que « Ce message vous est présenté par XXX … », la publicité vidéo finissant par un écran dédié au logo d’une organisation publique, suivent ce modèle. Parfois, ces signatures s’accompagnent d’une identification sonore officielle comme c’est le cas dans cette publicité du Gouvernement du Canada.

 

La publicité d’institutions publiques ou gouvernementales - telles que l’INPES français ou le MSSS québécois – dont les campagnes traitent de thématiques multiples, illustre bien la situation particulière où la signature de l’organisation – sa marque – scelle différentes communications préventives portant sur des causes variées. Les affiches suivantes, produites par l’INPES dans le cadre de la lutte au ITS, au tabagisme et la promotion de l’hygiène de mains, fournissent de bons exemples.

 

Dans le cas de ces organisations, qui ne sont pas dédiées à une seule cause, la présence d’une signature identique et commune aux différentes pièces ouvre la porte à une réflexion sur l’équité publicitaire.

Au fil des années, la présence récurrente de la signature de l’organisation, peu importe la thématique publicitaire, construit cumulativement une perception générale de la publicité provenant de ce signataire. C’est ici que le concept d’équité publicitaire – introduit par les deux auteurs - revêt une importance particulière pour les promoteurs de publicité sociale.


Essentiellement, le concept d’équité lie les campagnes précédentes, associées à la marque, à celles qui seront produites par le signataire dans le futur. Selon les auteurs, l’équité publicitaire va beaucoup plus loin que l’attitude générale du public au nom du signataire. Selon eux, la façon de faire de la publicité qui est associée à une marque construit progressivement une perception générale des publicités associée à cette marque. Et cette perception modulera l’attention que les personnes exposées accorderont aux futures publicités signées par l’organisation : «… these perceptions influence consumer willingness to pay attention to future advertising for a brand » (p.10).


Les chercheurs appuient leurs conclusions sur l’observation d’effets observables lorsqu’on expose des personnes - sur une longue période - à des publicités identifiées à une même marque. Dans le cas de la publicité sociale, il semble logique de considérer la signature corporative comme une « marque » (même si les auteurs – traitant davantage de publicité en général – n’on pas abordé la question de la publicité sociale dans leur article ).


Discutant des résultats de leurs expérimentations, les auteurs soulignent que les consommateurs apprécient et acceptent volontiers de s’exposer aux publicités qui viennet de certains marques. Ce constat s’avère important pour les promoteurs.


Bien entendu, le concept est d’abord pertinent pour le calcul des investissements qui seront nécessaires pour obtenir une exposition suffisante aux pièces publicitaires diffusées. Il permettra d’anticiper la facilité avec laquelle la pièces publicitaire sera remarquée et, accessoirement, de choisir le type de médias qui convient le mieux à sa diffusion (une publicité bénéficiant d’une équité publicitaire élevée pourrait exiger moins d’achats média et performer plus facilement, par exemple, sur les médias sociaux).


Le concept d’équité publicitaire fournit aussi un critère décisionnel significatif lorsque viendra le temps de prétester une nouvelle proposition publicitaire. Au-delà de l’efficacité à court-terme, les responsables des campagnes devront considérer comment la publicité qu’ils souhaitent diffuser pourra améliorer l’intérêt des personnes exposées aux campagnes qui suivront. Et éviter de nuire à de futures publicités.


Lorsque le signataire des publicités est dédié à une cause unique, ou poursuit un seul mandat (comme la prévention du VIH), la prise en compte de l’équité publicitaire est déjà ardue. Mais dans le cas des institutions qui produisent des publicités traitant de différentes thématiques (comme c’est le cas pour les institutions publiques) on parle d’un défi considérable où la piètre performance de futures campagnes pourrait avoir des répercussions négative sur de futures  publicités arborant la signature commune.

Sachant que, bien souvent, les thématiques différentes abordées par les institutions publiques sont le résultat des travaux parallèles d’équipes de travail distinctes, et que les enjeux de notoriété d’une institution sont bien souvent balisés par des normes régissant le identifications et la protection de la marque, on devine sans peine que la notion d’équité publicitaire soulève d’importantes remises en question.

Perplexe devant le choix de signer ou non une campagne ?


L’observation de différentes campagnes diffusées à travers le monde (il suffit de faire une visite sur le site Pinterest de pubsociale pour s’en convaincre) révèle des pratiques qui varient selon les cultures et les pays. Si certains promoteurs accordent une place importante à leur signature dans les campagnes sociales qu’ils produisent (comme la campagne contre le jeu ci-contre), d’autres choisissent de s’effacer derrière un slogan ou un site conçu expressément pour la campagne, comme c’est le cas dans la campagne Talk To Frank, provenant du Royaume-Uni, qui cible les jeunes et aborde l’usage de drogues. 


L’article de Rosengren et Dahlén soulève le fait que la signature d’une campagne sociale n’est pas un geste neutre et insignifiant. Pour les publicitaires confrontés à des exigences administratives , c’est un argument intéressant. 


Une publicité n’est pas un communiqué ou un rapport annuel.

 


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