Avez-vous dit « marketing » ?

Utilisons l’expression marketing non-commercial pour distinguer ce phénomène du concept de marketing social, parfois utilisé à tort pour désigner toutes les communications pour la santé (Edgar, Volkman, & Logan, 2011). Le marketing non-commercial est une utilisation du marketing pour la promotion de causes qui ne sont pas liées à la vente de biens ou services.


Dans la forme qui respecte le plus cette transposition des savoirs et techniques du marketing, on trouve le marketing social, terme utilisé par Kotler et Zaltman (1971) pour désigner une approche globale qui situe le consommateur au cœur des préoccupations et des activités tout comme le fait le marketing commercial (Burroughs et al., 2006; Lefebvre, 2002 ). Ce marketing social récupère les instruments et concepts du marketing commercial pour produire des changements de comportement à l’échelle populationnelle (Edgar et al., 2011) comme, par exemple: la théorie des échanges, la segmentation des cibles, l’analyse de la compétition, le souci de mesurer et d’évaluer (Grier & Bryant, 2005), l’utilisation du marketing mix (concept reposant les quatre variables : le produit, l’endroit, le prix et la promotion).


L’enregistrement vidéo d’une conférence prononcée par le professeur Gerard Hastings sur le marketing social résume bien la nature et les objectifs du marketing social. Cet expert réputé, spécialiste en marketing social qui enseigne à l’Université de Stirling (Écosse), y présente le marketing social en insistant sur le fait que son objectif n’est pas de convaincre les gens d’adhérer aux principes des promoteurs… mais plutôt de travailler avec certaines populations afin d’obtenir des améliorations significatives à leurs yeux. Notez que la présentation est en anglais.




Une autre présentation, en français cette fois, du marketing social est disponible en ligne. Il s’agit de la conférence prononcée par François Lagarde à l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal. François possède un long parcours en marketing social et ses talents de communicateur rendent ses exposés fort intéressants.




Notez bien que si votre intérêt se limite à la publicité sociale, il est techniquement inapproprié de parler de marketing social puisque « purely communications campaigns are not social marketing » (Andreasen, 2002, p. 7). La publicité, liée à la variable « promotion », n’est qu’un des différents éléments du marketing mix, mais elle est le segment le plus visible. L’attention considérable accordée à la publicité sociale tient probablement au fait qu’il s'agit, comme le disait Edgar (2011), de la «fun part» parmi les différentes composantes du marketing social (Edgar et al., 2011). On observe cette confusion dans plusieurs publications scientifiques traitant de marketing social, où certains auteurs n’abordent que des activités touchant des messages publicitaires ou des campagnes (Edgar et al., 2011).


Les détracteurs de l’idée d’utiliser des techniques provenant du marketing associent ce terme à la manipulation, à une approche colonisatrice, à l’utilisation malheureuse de métaphores militaires ou mercantiles (Grier & Bryant, 2005; Loss & Nagel, 2010): « while health education is intended to assist individuals to identify and solve their own problems and achieve their own goals, and is philosophically and ethically grounded … in contrast, marketing research, unfortunately too often, is used by advertising agencies to manipulate consumer decision making and behavior in ways that profit corporations and exploit consumers » (Basch, 1987, p. 439)


Critique, Rutherford (1999) rapporte que l’apparition, aux environs de la Seconde Guerre mondiale, des premières campagnes de promotion de causes sociales satisfaisait les besoins d’autopromotion de l’industrie publicitaire alors qui était alors malmenée par l’opinion publique. L’intérêt des agences pour l’utilisation de techniques dérivées de la psychologie humaine donnait aux publicitaires une réputation douteuse liées à la manipulation des motivations inconscientes du public (Leiss, Kline, Jhally, & Botterill, 2005), et les commerçants espéraient toujours disposer de « psychological techniques of persuasion so emotionally powerful and subtle that they could induce a determined opponent of advertising to buy the product even if he disbelieved the claims advertised for it » (Young, 1967, p. 308)…


Pendant les ’70, l’intérêt qui s’est manifesté à l’égard du marketing non-commercial s’inscrivait dans un contexte voisin, alors que l’industrie publicitaire était la cible de différentes initiatives: apparition des mouvements de protection des consommateurs, renforcement de dispositions réglementaires encadrant la publicité, dénonciation de pratiques publicitaires abusives (Crane & Desmond, 2002). L’apparition, au Québec en 1978, des premières campagnes sociales gouvernementales évoque cette perception d’une publicité sociale faisant contrepoids au marketing commercial, alors que les publicités gouvernementales ont été rendues possibles par l’imposition d’une taxe de 2% prélevée sur l’achat d’espaces publicitaires dans les médias électroniques (Renaud & Caron-Bouchard, 2001).


Les réticences qui entourent parfois le marketing non-commercial semblent davantage associées à ses utilisateurs qu’à l’approche elle‑même. Dans les faits, l’histoire de la santé relate depuis le XVIIIème siècle différentes actions apparentées au marketing social telles « la multiplication des « croisades antialcooliques » et des actions de sensibilisation aux dangers engendrés par ces entités nouvelles qu’étaient alors les microbes » (Berlivet, 2004, p. 38), les campagnes de promotion de la vaccination (Maibach, Abroms, & Marosits, 2007) ou de prévention de la tuberculose (Feldberg, 1995 ; Pernick, 1978).


L’intérêt des pouvoirs publics pour le marketing non-commercial soulève par ailleurs des craintes. Certains assimilent les campagnes gouvernementales à des activités normatives cherchant à orienter le comportement des citoyens (Raftopoulou & Hogg, 2010; Rothschild, 1999). De même, on évoque parfois l’intérêt des pouvoirs publics à mener une campagne dédiée à la prévention d’un « fléau » afin de corriger l’image négative de personnalités politiques (Berlivet, 2004) ou pour rendre plus acceptables la rigueur de certaines lois .



Sources citées


Andreasen, A. R. (2002). Marketing social marketing in the social change marketplace. Journal of Public Policy & Marketing, 21(1), 3-13

Berlivet, L. (2004). Une biopolitique de l'éducation pour la santé. La fabrique des campagnes de prévention. Dans D. Fassin & D. Memmi (dir.), Le gouvernement des corps. Cas de figure ; 3 (p. 37-75). Paris: Ecole des hautes études en sciences sociales,.

Burroughs, E., Peck, L. E., Sharpe, P. A., Granner, M. L., Bryant, C. A., et Fields, R. (2006). Using focus groups in the consumer research phase of a social marketing program to promote moderate-intensity physical activity and walking trail use in sumter county, south carolina. Preventing Chronic Disease, 3(1), A08

Crane, A., et Desmond, J. (2002). Social marketing and morality. European Journal of Marketing, 36(5/6), 548-569

Edgar, T., Volkman, J. E., et Logan, A. M. B. (2011). Social marketing. Its meaning, use, application for health communication. Dans T. L. Thompson, R. Parrott & J. F. Nussbaum (dir.), The routledge handbook of health communication (2nde éd., p. 235-251). New York: Routledge.

Feldberg, G. D. (1995). Disease and class: Tuberculosis and the shaping of modern north american society. New Brunswick: Rutgers University Press.

Grier, S., et Bryant, C. A. (2005). Social marketing in public health. Annual Review of Public Health, 26, 319-339

Grier, S. A., et Kumanyika, S. (2010). Targeted marketing and public health (Annual review of public health, vol 31 (Vol. 31, p. 349-369). Palo Alto: Annual Reviews.

Kotler, P., et Zaltman, G. (1971). Social marketing: An approach to planned social change. Journal of Marketing, 35(July), 3-12

Leiss, W., Kline, S., Jhally, S., et Botterill, J. (2005). Social communication in advertising : Consumption in the mediated marketplace. (3ièmee éd.). New York: Routledge.

Loss, J., et Nagel, E. (2010). Social marketing - seduction with the aim of healthy behavior? Gesundheitswesen, 72(1), 54-62Maibach, E. W., Abroms, L. C., et Marosits, M. (2007). Communication and marketing as tools to cultivate the public's health: A proposed "people and places" framework, Bmc Public Health

Pernick, M. S. (1978). Thomas Edison's tuberculosis films: Mass media and health propaganda. Hastings Center Report, 8(3), 21-27

Raftopoulou, E., et Hogg, M. K. (2010). The political role of government-sponsored social marketing campaigns. European Journal of Marketing, 44(7-8), 1206-1227

Renaud, L., et Caron-Bouchard, M. (2001). Pour mieux réussir vos communications médiatiques; guide pratique en promotion de la santé. INSPQ

Rothschild, M. L. (1999). Carrots, sticks, and promises: A conceptual framework for the management of public health and social issue behaviors. Journal of Marketing, 63(4), 24-37

Rutherford, P. (1999). Endless propaganda : The advertising of public goods. Toronto: University of Toronto Press.

Young, J. H. (1967). The medical messiahs: A social history of health quackery in twentieth-century america. Princeton, N.J.: Princeton University Press.

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