…demandez-vous toujours: «une campagne est-elle vraiment nécessaire ?»
C’est un réflexe fréquent dans nos sociétés. Bombardés par des milliers de publicités qui se battent pour gagner notre attention, nous avons l’impression que la campagne publicitaire est le passage obligé de toute action d’envergure.
Pour les institutions ou les pouvoirs publics qui sont confrontés à un problème, une campagne est parfois un procédé symbolique qui démontre qu’une action concrète est faite (un peu comme la création d’un « groupe d’étude » ou d’un « comité d’analyse »). On détecte facilement ce type de campagne lorsque les causes d’un problème sont inconnues, ou qu’elles échappent à tout contrôle, et qu’un acteur public annonce qu’il fera campagne pour «lutter contre ce fléau». Les efforts consentis (budgets, durée, taille des équipes, …) constituent aussi de bons révélateurs du caractère symbolique ce type de campagnes.
La campagne n’est donc pas un passage obligé. Comment alors déterminer si elle est appropriée pour une situation donnée?
Une question fondamentale doit être posée dès le départ. Selon la réponse, la pertinence de faire campagne apparaîtra. Cette question, c’est «Quel résultat veut-on obtenir de la campagne envisagée?» Si vous ne pouvez répondre, ou si votre réponse se limiter à reformuler la question (avec des énoncés comme «Faire une campagne», «Produire des publicités sur ce sujet», «Sensibiliser les gens», … ) vous saurez que ce que vous pensiez être un objectif est davantage un moyen. Tout comme une voiture, la campagne est un véhicule utilisé pour se rendre à une destination. Ce n’est pas la destination en soi.
La campagne mène à un ou plusieurs objectifs.
On « lance une campagne », on « produit des publicités » et on « sensibilise » dans l’intention de parvenir à un objectif. Tant qu’on ne peut le formuler, c’est qu’on veut faire une campagne pour le seul motif de faire une campagne.
Caron-Bouchard et Renaud (2001) ont précisé les besoins auxquelles une campagne peut répondre : elles peuvent sensibiliser les gens à l’importance de certains thèmes, mettre une préoccupation sociale à l’agenda public, transmettre de l’information simple et changer les comportements d’il existe des facteurs facilitants. Les auteurs mettent aussi en garde ceux qui ont d’autres visées : « elles ne peuvent pas transmettre une information complexe, défier les croyances personnelles solidement ancrées ni modifier les attitudes adoptées au fil des ans, changer les comportements en l’absence de facteurs facilitants. » (p.1). De nombreuses publications scientifiques corroborent cet énoncé.
Une campagne ne réussira pas à persuader une personne d’aller au gym si ses revenus ne lui permettent pas d’y accéder. Ou encore d’accepter son handicap si elle vit dans un milieu véhiculant de forts préjugés. Par contre, des campagnes pourront prévenir un comportement qui n’existe pas encore (comme l’initiation tabagique) ou convaincre les gens de l’importance de ne pas déverser des produits pétroliers dans les égouts.
Les campagnes ne sont pas omnipotentes. C’est une erreur de leur prêter un pouvoir persuasif absolu, comme le démontrent plusieurs échecs publicitaires. Déjà, en 1947, les réputés H.H. Hyman et P.B. Sheatsle avaient étudié les causes de tels échec. Leur étude montrait que les échecs observés pouvaient être liés aux croyances des promoteurs qui estimaient possible de modifier les comportements des personnes en leur communiquant des informations sur un sujet. Selon les auteurs, cela est faux. Ce type de campagne échoue pour différentes raisons:
- les personnes qui se désintéressent d’une question ne sont pas rejointes par les communications qui traitent de ce sujet (et cela, même si on augmente la fréquence ou le volume des publicités );
- les personnes préfèrent généralement être exposées aux informations qui les confortent dans leurs certitudes et opinions;
- la même information peut être interprétée différemment par différentes personnes, selon les leurs attitudes (présentes avant l’exposition publicitaire);
- le fait d’être exposé à des informations ne suffit pas à changer les attitudes des gens.
Dans le choix de faire ou non une campagne sociale, un éventuel promoteur doit aussi considérer la perception générale découlant de son initiative. Pang (2015) note que certaines personnes peuvent considérer les investissements publicitaires comme des dépenses inutiles, même si de nombreuses études soutiennent le contraire. Puisque l’efficacité des campagnes varie, la pertinence d’une campagne peut toujours faire l’objet de telles critiques. L’évaluation d’efficacité est la solution qui permettre a posteriori de démontrer que l’investissement publicitaire, en dépit du risque potentiel, était judicieux.
L’étape suivante : se demander si l’action qu’on envisage faire constitue une campagne ou une publicité ?
Dans les pratiques, le mot « campagne » est souvent utilisé pour décrire des activités de communications auxquelles le terme «publicités» conviendrait mieux. Cette distinction a une certaine importance puisque les études sur lesquelles on s’appuie généralement pour dire que les campagnes peuvent être efficaces portaient sur de véritables campagnes, pas sur des pièces publicitaires.
Qu’est-ce qu’une campagne?
Silk et ses collaborateurs (2011) ont identifié quatre composantes essentielles dans les différentes définitions de « campagne » qui existent. Une campagne :
- cherche à produire des résultats ou des effets ;
- est conçue pour agir sur un grand nombre de personnes ;
- est délimitée par un échéancier précis ;
- repose habituellement sur un ensemble structuré d’activités de communication.
À cette description, nous pouvons préciser dans le cas des campagnes sociales, que les résultats ou effets recherchés ne sont pas principalement liés à un gain ou un profit pour les promoteurs (auquel cas, on devrait parler de campagnes tout simplement).
Ce qui n’est pas une campagne
Berthelot (dans http://www.definitions-marketing.com/definition/campagne-publicitaire/) définit une campagne publicitaire comme un ensemble cohérent d’actions publicitaires entreprises sur une même période et visant à promouvoir le même produit ou service. Les différentes actions de communication sont normalement coordonnées et complémentaires. Les différentes productions graphiques d’un organisme, pendant une même année financière, ne constituent donc pas une campagne.
Une communication publicitaire isolée (affiche, message radio, clip vidéo) pourrait être un élément de campagne, mais elle ne constitue pas non plus une campagne. Dans la pratique, ces termes sont facilement confondus. Certains site web consacrés à la publicité annoncent parfois le lancement de campagnes dont la teneur se résume à une seule affiche, parfois diffusée ou même parfois uniquement entreposée sur une page web où d’éventuels internautes pourraient la télécharger. La présence d’un communiqué de presse annonçant cette production n’en fait pas une campagne.
Différentes raisons peuvent expliquer pareille situation, au-delà de l’ignorance ou du manque de compétences. Il est possible que même des agences compétentes puissent devoir se plier aux volontés d’un client (qui, comme le dit l’adage, « a toujours raison… ») ou à des coupures budgétaires imprévues. Tous les torts ne relèvent pas des concepteurs publicitaires. Une campagne est un travail d’équipe. Cependant, les candidats revendiquant la paternité d,une campagne sont beaucoup plus nombreux lors des succès que des échecs.
En marketing social, la publicité est une des quatre composantes de l’activité de marketing. On la place à l’intérieur du volet « promotion », le quatrième « P » souvent repris pour décrire le marketing sociale (le produit, la place (lieu), le prix et la promotion). Mais la publicité monopolise est spectaculaire, retient l’attention et relègue facilement les autres composantes à l’arrière-plan. Edgar et ses collègues (2011) le décrivent ainsi : « Promotion is also the P that receives the most attention in published articles within the social marketing literature. As we discussed earlier, promotion frequently is mistaken for the whole of social marketing. » (p.242).
La publicité occupe une place centrale dans les campagnes, et peut être considérée comme l’ancêtre des campagnes modernes qui s’appuient sur plusieurs moyens. Déjà, dans un article séminal publié en 1915, Jules Schevitz témoignait de la fascination pour le pouvoir publicitaire en plaidant pour « the injection of advertising methods » en santé publique en utilisant des techniques comme « preparation of a pamphlet, construction of an exhibit, the arrangements for a meeting… » (p.1204).
Une publicité comme celles du début du XXe siècle illustrant cette page, se limitant à communiquer une mise en garde sanitaire, ne pourrait être considérée comme une campagne. De nos jours, le terme implique que son promoteur a utilisé un ensemble concerté de moyens, pendant une période définie, pour atteindre un résultat qui était fixé au départ. Lancer une affiche dans l’espace public, un peu comme une bouteille lancée à la mer en espérant que son message trouve un lecteur et qu’on obtienne un résultat pouvant être qualifié d’effet… n’est pas une campagne (même si certains diraient que cette description s’applique bien à quelques actions publicitaires contemporaines).
Il est très intéressant de constater que dès 1916, des voix s’élevaient soulignaient les limites de l’activité publicitaire en promotion de la santé. Mooree (1916) écrivait que « many features of public health publicity fail to bring adequate return for the effort expended. (…) This is especially true of the circular type of publicity. Its chief disadvantage, besides expense and difficulty of distribution, is that it either does not reach the person for whom it is intended or it reaches him at a moment when he is not mentally attuned to that particular kind of information » (p.735).
Les propos de Mooree demeurent valables à notre époque, même si la publicité par circulaire a été remplacée par la publicité diffusée à la télévision ou sur les réseaux sociaux. La question du faible intérêt de certains groupes à qui on présente une publicité - au moment de cette exposition – demeure un siècle plus tard une préoccupation contemporaine (Jayasinghe et Ritson, 2013;Pelsmacker et al., 2002; Poncin et Derbaix, 2009) .
La campagne à laquelle vous songez est-elle une campagne publicitaire ?
Le terme « campagne » peut aussi être appliqué à des « campagnes de relations publique », des « campagnes de vaccination », des « campagnes de levée de fonds », etc. Toutes ces actions utilisent la même métaphore guerrière, celle des croisades, de la guerre à la mort et à la maladie, à la pauvreté ou à la drogue, qui séduit l’humanité depuis des siècles.
Dans le cas des campagnes de publicité sociale, ces différents usages pourraient causer une confusion à éviter dans les discussions où des publicitaires et des spécialistes participent (par exemple, les résultats d’une campagne de vaccination - qui reposent aussi sur l’efficacité des vaccins et sur leurs accessibilité - ne sont pas les résultats d’une campagne de promotion de la vaccination, qui repose sur des activités publicitaires !)
Quelles alternatives aux campagnes ?
Si votre intention ne convient pas à une campagne, d’autres types d’actions peuvent peut-être vous permettre d’atteindre votre objectif :
- la publicité ponctuelle demeure utile pour effectuer un rappel, visualiser l’ampleur du soutien à une cause, permettre à une thématique de manifester sa présence dans certains milieux (par exemple, en dénonçant les problèmes alimentaires à proximité de restaurants);
- les relations publiques peuvent être efficaces pour introduire, orienter et maintenir un message à l’agenda public. Susciter l’intérêt des médias (on ne parle pas nécessairement des journalistes) peut être plus efficace qu’une campagne de faible visibilité.
- l’advocacy. Le terme désigne un activisme popularisé par Greenpeace, Femen ou Peta, qui défendent leurs causes sur toutes les tribunes, utilisant parfois la publicité, les coups d’éclat, la mobilisation militante, etc. dans une intervention continue, délocalisée. L’advocacy peut aussi s’appuyer des interventions dans les médias sociaux autant que par des pétitions ou des circulaires distribuées sur le trottoir.
sources mentionnées:
Edgar, T., Volkman, J. E., & Logan, A. M. B. (2011). Social marketing. Its meaning, use, application for health communication. In T. L. Thompson, R. Parrott, & J. F. Nussbaum (Éd.), The Routledge Handbook of Health Communication (2e éd., pp. 235-251). New York: Routledge.
Jayasinghe, L., & Ritson, M. (2013). Everyday Advertising Context: An Ethnography of Advertising Response in the Family Living Room. Journal of Consumer Research, 40(1), 104-121.
Moree, E. A. (1916). Public health publicity v. newspaper advertising. American Journal of Public Health, 6(7), 730-743.
Pang, B., & Kubacki, K. (2015). The four Es of social marketing: ethicality, expensiveness, exaggeration and effectiveness. Journal of Social Marketing, 5(1), 83-99.
Pelsmacker, P. D., Geuens, M., & Anckaert, P. (2002). Media context and advertising effectiveness: The role of context appreciation and context/ad dimilarity. Journal of Advertising, 31(2), 49-61. Extrait de http://www.jstor.org/stable/4189214
Poncin, I., & Derbaix, C. (2009). Commercials as context for other commercials. Threat or opportunity? Journal of Advertising, 38(3), 33-49.
Schevitz, J. (2010). Advertising As a Force in Public Health Education. American Journal of Public Health, 100(7), 1202-1204.
Silk, K. J., Atkin, C. K., & Salmon, C. T. (2011). Developing effective media campaigns for health promotion. In T. L. Thompson, R. Parrott, & J. F. Nussbaum (Eds.), The Routledge Handbook of Health Communication (2e éd., pp. 203-219). New York: Routledge.