Primum non nocere est une locution latine qui résume un des principes fondamentaux de la médecine hippocratique: en premier lieu, le soignant ne pas nuire à son malade. Cette mise en garde dicte au médecin que son traitement ne doit jamais empirer l'état du malade. Si ce n'est pas le cas, il ne doit pas intervenir. Ce principe s’applique par extension aux communications pour la santé destinées aux personnes vulnérables ou vivant avec une pathologie physique ou mentale. Aucune action de communication (individuelle ou de masse) ne devrait nuire à la santé des personnes exposées.
Le risque de conséquences indésirable liées à une erreur de stratégie a déjà été abordée ailleurs sur pubsociale.com. Dans le cas présent, on parle de situations extrêmes qui pourraient mettre en péril la vie de certaines personnes.
Un récent article (Lueck, 2017) du Journal of Health Communication offre l’occasion de réfléchir à cette dimension moins connue des campagnes publicitaires en santé. Et d’améliorer nos pratiques en publicité sociale.
Dans Matching Message Design and Depressed Cognition: An Exploration of Attention Patterns for Gain- and Loss-Framed Depression Help-Seeking Messages, Lueck s’intéresse plus particulièrement aux publicités conçues pour inciter les personnes dépressives à demander de l’aide. Il s’agit d’un objectif commun à différentes campagnes sur la dépression telles que celle de l'OMS .
Siegel et ses collègues (2015) ont noté que les personnes dépressives forment un public plus difficile à persuader. Plusieurs auteurs ont déjà constaté que certains messages publicitaires traitant de dépression pouvaient – au-delà d’une inefficacité toujours possible – engendrer des effets nuisibles si on les présentait à des personnes dépressives (Klimes-Dougan, Klingbeil, & Meller, 2013; Niederkrotenthaler, Reidenberg, Till, & Gould, 2014). Par exemple, Lueck évoque le fait que l’acceptabilité du suicide pourait augmenter chez des personnes exposées à des messages du type « Évitez le suicide, soignez la dépression : consultez un médecin ».
La question est complexe, et il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur le sujet. Mais, pour l‘instant, les communicateurs doivent savoir qu’un message préventif diffusé aux personnes dépressives peut comporter des risques de nuire à l’individu.
La publication de Lueck s’intéresse au type de message le plus approprié dans une publicité ciblant les personnes dépressives en utilisant la notion de cadrage thématique (orienté vers le gain ou la perte).
Sommairement, l’hypothèse considère qu’il existe deux types de messages : ceux orientés vers le gain, qui présentent les bénéfices du comportement publicisé (par exemple : « Aller chercher de l’aide pour sortir de la dépression peut vous aider à retrouver le sourire »), et ceux orientés vers la perte, exposant plutôt les inconvénients de ne pas adopter le comportement recommandé (par exemple : « Ne pas chercher de l’aide pour sortir de la dépression fait souffrir la personne et ses proches »). Les exemples suivants illustrent les deux orientations.
Lueck considère que – puisque la démarche d’une personne pour trouver de l’aide risque de faire en sorte de révéler la présence d’un état stigmatisant (la dépression) – il s’agit d’un comportement apparenté au dépistage de problèmes de santé. En fonction de cette situation, le choix d’un cadrage négatif serait indiqué. Il correspond mieux à l’état d’esprit de la personne dépressive, réduisant les risques d’un effet pervers (boomerang) tel que présenté par Lienemann et ses collègues (2013).
Expérimentation :
Dans l’expérimentation présentée, 154 étudiants universitaires ont été exposés à des publicités faisant la promotion d’une démarche de consultation pour vaincre la dépression. Les participants étaient exposés à des messages orientés vers le gain ou la perte. Les réactions du groupe étaient observées en utilisant, entre autres, le monitorage du regard (eye-tracking).
Résultats :
L’auteur n’a pas pu démontrer qu’il existe une différence significative entre les deux orientations des messages (ceux cadrés vers le gain et ceux cadrés vers la perte). Par contre, les résultats montrent que les personnes dépressives regardent différemment le matériel présenté selon le cadrage du message. Les personnes se situant dans une zone plus proche de la dépression semblent avoir évité les éléments de l’affiche positifs (graphiques ou textes), ce que l’auteur considère comme le résultat de la tendance des personnes dépressives à éviter d’accorder de l’attention aux composantes positives («those who are less affected by depression attend to positive stimuli, whereas those affected by depression are less motivated to attend to such positive cues » (Lueck, 2017, p. 600))
Implications pour les praticiens :
Dans l’univers encombré de la publicité, les campagnes de publicité sociale doivent être vues pour produire un effet. C’est un élément insuffisant mains essentiel à l’efficacité ultérieure. L’étude de Lueck souligne l’importance de considérer le cadrage thématique du message qu’on destine aux personnes dépressives lorsque ce groupe est ciblé par une campagne. L’auteur souligne que le risque de provoquer des effets contraires aux attentes du promoteur sont réels, et que les concepteurs ont avantage à considérer le cadrage de leur publicité pour éviter des dérapages.
Lueck postule que les dépressifs accorderont davantage d’attention aux informations sur leur maladie si elles sont présentées dans cadre thématique orienté vers la perte plutôt que vers le gain. Ce qui signifie qu’il serait préférable d’inclure des illustrations et des textes orientés de cette façon dans les projets publicitaires ciblant ce public.
Est-il utile de répéter que le prétest publicitaire demeure la méthode de choix pour valider un projet publicitaire, encore davantage lorsqu’on sait que ce public présente un état d’esprit particulier affectant sa façon de décoder les publicités qu’on lui présente ?
La publicité sociale est une forme d’intervention en santé. Comme d’autres techniques d’intervention, elle peut soulager ou nuire à la santé.
Sources mentionnées
- Klimes-Dougan, B., Klingbeil, D. A., & Meller, S. J. (2013). The Impact of Universal Suicide-Prevention Programs on the Help-Seeking Attitudes and Behaviors of Youths. Crisis, 34(2), 82-97. doi:10.1027/0227-5910/a000178
- Lienemann, B. A., Siegel, J. T., & Crano, W. D. (2013). Persuading People with Depression to Seek Help: Respect the Boomerang. Health Communication, 28(7), 718-728. doi:10.1080/10410236.2012.712091
- Lueck, J. A. (2017). Matching Message Design and Depressed Cognition: An Exploration of Attention Patterns for Gain- and Loss-Framed Depression Help-Seeking Messages. Journal of Health Communication, 22(7), 593-603. doi:10.1080/10810730.2017.1324538
- Niederkrotenthaler, T., Reidenberg, D. J., Till, B., & Gould, M. S. (2014). Increasing Help-Seeking and Referrals for Individuals at Risk for Suicide by Decreasing Stigma: The Role of Mass Media. American Journal of Preventive Medicine, 47(3, Supplement 2), S235-S243. doi:https://doi.org/10.1016/j.amepre.2014.06.010
- Siegel, J. T., Lienemann, B. A., & Tan, C. N. (2015). Influencing Help-Seeking Among People With Elevated Depressive Symptomatology:Mistargeting as a Persuasive Technique. Clinical Psychological Science, 3(2), 242-255. doi:10.1177/2167702614542846