Communications en santé : survol des connaissances scientifiques liées à la facilité de lecture

Escalade1


Il existe plusieurs façons de gravir une montagne. L’alpiniste expérimenté étudie différents parcours, planifiant son trajet pour identifier celui qui combine la plus grande facilité et les défis qui correspondent à son matériel et ses compétences. Le néophyte enthousiaste avancera généralement en fixant le sommet du regard, tout simplement. Dans son cas, l’analyse du trajet est souvent un gaspillage du précieux temps qu’il peut consacrer à l’escalade.


Transposons cette analogie à la production de campagnes de publicité sociale. Dans ce domaine, nous rencontrons tous un jour ces promoteurs inexpérimentés mais fortement motivés qui affirment d'emblée, lors de la première rencontre, qu’il faudra produire une vidéo qui sera diffusée aux heures de grande écoute, en complément d’un affichage massif qui inondera toutes les pharmacies du pays.


Je ressens parfois une certaine sympathie pour ces aventuriers du marketing, émules des faucheurs de marguerites d’autrefois, pionniers de l’aviation à l’aube du transport aérien. Armés d’une belle détermination, le promoteur inexpérimenté avance parfois dans le processus de campagne comme le faisaient ces défricheurs, confiant que sa détermination triomphera. Mais l’expérience révèle que la détermination aveugle ne remplace pas la planification ou l’expertise. Et que personne ne doit se lancer dans l’escalade d’un sommet sans avoir soigneusement planifié son périple.


L’utilisation des données scientifiques pendant l’élaboration d’une campagne de publicité sociale est une façon de réduire les risques et d’accroître l’efficacité des investissements. Depuis plusieurs décennies, des chercheurs en marketing, en communication et en santé publique s’intéressent au succès de campagnes sociales. Plusieurs études abordent les éléments liés à la réussite d’une campagne ou à la prévention de catastrophes. Mais l’analyse préliminaire des données bibliographiques ne fait pas partie de la tradition publicitaire au moment où les équipes « partent en campagne ». Pour vaincre, il suffit d’un gros gourdin et de beaucoup de détermination se disent parfois les troupes. À leur décharge, avouons que les publications de chercheurs sont souvent dirigées vers un public de chercheurs, rarement vers les praticiens et les artisans du terrain publicitaire. Et les liens entre l’univers théorique des chercheurs et les pratiques ne sont pas souvent explicités par les auteurs.


Depuis une quinzaine d’années, j’interviens auprès de praticiens de campagnes sociales en favorisant le transfert des connaissances pertinentes à leurs projets. La mise en ligne du site Pubsociale.com, mon répertoire Pinterest de affiches de publicités sociales ou mes publications sur Twitter témoignent de ma conviction des avantages qu’il y a à promouvoir la collaboration entre chercheurs et praticiens, dans l’espoir d’améliorer la qualité des connaissances en publicité sociale et l’efficacité des campagnes. Formé au départ en pharmacie, une discipline où l’évolution constate de la pharmacologie impose l’obligation de faire avancer ses connaissances, j’applique à la communication la même méthode de travail.


Au cours de mon survol constant des publications scientifiques, certains articles se démarquent parfois au point où je crois utile d’en publiciser l’existence. C’est le cas d’une récente analyse (Okuhara, Ishikawa, Okada, Kato, & Kiuchi, 2017) où les auteurs livrent les constats de publications scientifiques qui démontrent l’importance d’ajuster nos communications en santé aux compétences des publics visés. Les chercheurs sont partis du postulat que l’aisance avec laquelle un public décode l’information qu’on lui présente déterminera la confiance et l’intérêt qu’il y accordera. Ils constatent que, pour plusieurs, la facilité à décoder les messages de publicités sociales est un indicateur de l’effort exigé. Et que la perception de l’effort à fournir est un déterminant de l’intention d’agir comme le suggère la publicité.

L’aisance à décoder les messages de publicités sociales (processing fluency) se décline en plusieurs dimensions : « Physical perceptual, lexical, syntactic, phonological, retrieval, and imagery fluency were found to be particularly relevant to the design of health materials». En gros, Okuhara et ses collègues disent que les concepteurs de communications liées à la santé devraient privilégier


-        un design facile à comprendre;

-        un vocabulaire accessible;

-        des arguments pouvant convenir à un public avec faible numéracie ;

-        un volume limité d’informations;

-        une description explicite et factuelle de ce qu’il faut faire et des avantages qui en découleront.


Dans leur article, les auteurs présentent un tableau intéressant qui résume les constats de 30 recherches expérimentales portant sur différentes dimensions des communications en santé. Je J’en propose ci-dessous une traduction qui montre l’intérêt pratique du travail d’Okuhara à l’égard d’éléments aussi concrets que le choix de la typographie, la formulation de slogans qui riment, la complexité du vocabulaire, le contraste à donner aux composantes graphiques, la présentation de données numériques, etc. Les intéressés trouveront les informations bibliographiques détaillées des études mentionnées dans l’article original.


Choix de typographies

(étude de Song et Schwarz)

La facilité de lecture de certaines polices d’impression influence la perception du temps ou des compétences nécessaires pour poser les gestes suggérés. La volonté d’adhérer aux recommandations est moindre quand les consignes sont rédigées dans une police plus difficile à lire.


Choix de typographies

(étude de Gmuer)

Les sujets ont attribué un meilleur goût aux vins contenus dans une bouteille dont les étiquettes étaient plus faciles à lire.


Utilisation d’aphorismes qui riment ou non

(étude de McGlone et Tofighbakhsh)

Les énoncés qui riment ont été jugés plus fiables dans cette étude où on cherchait à évaluer la crédibilité perçue des messages.


Perception du risque et vocabulaire

(étude de Song et Schwartz)

Les produits dont le nom est plus difficile à prononcer sont jugés moins sécuritaires.


Graphisme : contraste d’affichage

(étude de Reber et Schwarz)

Les énoncés dont l’impression offrait un contraste plus élevé ont été plus souvent jugés vrais.


Complexité de l’argumentation

(étude de Lowrey)

Les publicités utilisant une syntaxe plus compliquée ont été jugées moins persuasives et leur notoriété a été moindre


Perception du risque et vocabulaire

(étude de Dohle et Siegrist)

Les médicaments dont le nom était le plus facile à lire ont été jugés plus sûrs et on leur a attribué moins d’effets secondaires. Leur usage était facilité.


Rédaction et consentement éclairé

(étude de Manley et al.)

Lorsque le résumé de l’étude est plus difficile à lire, les candidats potentiels considèrent l’étude comme plus complexe.


Utilisation de données numériques

(étude de King et Janiszewski)

Les personnes préfèrent les nombres habituellement utilisés pour de simples problèmes arithmétiques aux nombres moins familiers.


Promotion d’un service ou d’une marque

(étude de Petrova et Cialdini)

Les participants préfèrent les services qu’ils sont capables d’imaginer et où ils peuvent se projeter.


Présentation de cas pour appuyer une promotion

(étude de Mandel et al.)

Par contraste avec des situations qu’ils jugent irréalistes, les participants qui lisent une histoire de cas montrant une conclusion heureuse se considèrent plus aptes à réussir, eux aussi, dans le futur.


Informations décrivant le service

(étude de Gregory et al.)

Quand l’information reçue permet aux participants d’imaginer les bénéfices qu’elles peuvent en obtenir, les personnes sont davantage motivées à souscrire à un service que celles à qui ont uniquement reçu une information sommaire.



Okuhara et ses collègues tracent un portrait des communications en publicité sociale où les productions s’inscrivent dans un continuum d’efforts cognitifs qui va de « très peu exigeant » à « très exigeant ». Les chercheurs rappellent que le jugement humain ne repose pas seulement sur l’information qu’on lui présente, une donnée objective, mais aussi sur un processus métacognitif lié à l’aisance avec laquelle la personne traite cette information. Les informations plus faciles à traiter y sont liées à une plus grande motivation à se conformer aux recommandations formulées. Elles sont aussi associées à un affect positif (contrairement aux informations difficiles à décoder), ce qui favorise l’attitude positive indispensable à toute intention comportementale.


Au terme de leur analyse, les auteurs considèrent qu’une plus grande préoccupation à l’égard des efforts cognitifs demandés aux lecteurs se traduirait par une plus grande efficacité des communications destinées à poser des gestes favorables à la santé.


L’article de Okuhara montre qu’il est possible de lier les recherches scientifiques à des éléments concrets de la production de campagnes de publicité sociale. Bien entendu, comme toute recherche, leur travail est une pierre dans un édifice plus vaste. Les conclusions doivent être corroborées, les expériences critiquées, les arguments éprouvés. C’est le processus normal des avancées scientifiques. Mais, hors des cercles universitaires, les contributions de tels travaux offrent souvent un potentiel intéressant pour les praticiens autrement mal outillés pour relever le défi complexe de campagnes liées à la santé ou à des causes sociales.

 

Article original:

Okuhara, T., Ishikawa, H., Okada, M., Kato, M., & Kiuchi, T. (2017). Designing persuasive health materials using processing fluency: a literature review. BMC Research Notes, 10(1), 198. doi:10.1186/s13104-017-2524-x

 

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