Les publicitaires et leurs clients

Les médias de masse sont largement utilisés pour exposer d’importants segments de la population  à des messages, une stratégie s’appuie sur le fait que l’usage des médias tels que la télévision, la radio ou les journaux est routinier pour plusieurs personnes  (Wakefield, Loken, & Hornik, 2010). Quelques années après ce constat formulé par les auteurs, ce constat – auquel on ajoute à présent les réseaux sociaux et l’Internet en général – demeure valable. 


On parle de l’utilisation de l’utilisation des instruments de la publicité commerciale pour promouvoir des messages liés à la santé, une perspective qui réjouirait Edward A. Moree (1916) celui qui plaidait auprès de ses confrères, il y a un plus d’un siècle, l’intérêt de la publicité commerciale pour améliorer l’efficacité de leurs communications en santé publique. Vantant les mérites de la publicité dans les journaux, l’auteur déclarait à l’époque que « the only thing that differentiates your efforts from those of the departement store is the fact that your profits are expressed in terms of civic improvement, social uplift and humanitarian service, while the profits of the commercial advertisers are expressed in bank balances. »(p.741) 


Mais l’utilisation des outils publicitaires exige cependant des compétences que la plupart des intervenants spécialisés dans les causes sociales ou l’administration publique ne possèdent pas.  Et le fait de les utiliser depuis plusieurs décennies ne veut pas dire qu’une personne possède elle-même l’expertise pour les élaborer. C’est ici qu’entrent en jeu les agences publicitaires.


L’industrie publicitaire est une entreprise lucrative, ayant comme objectif le profit. La logique de fonctionnement de ces organisations suit une logique commerciale. La distinction est importante. Elle peut parfois être oubliée par les organisations qui travaillent avec des ressources bénévoles ou qui utilisent leur personnel pour mener des dossiers - sans considérer le coût des salaires investis dans le coût de leurs productions (une situation fréquente dans les organisations de grande taille).


Les agences réalisent des profits de différentes façons (Renaud & Caron-Bouchard, 2001) : en prélevant une commission sur le placement médias (un pourcentage du budget attribué pour payer l’espace ou le temps d’antenne acheté pour leur client); des frais d’administration liés à l’achat de services extérieurs (photographes, maison de production, illustrateurs…) et des honoraires qui peuvent être facturés sur une base horaire ou mensuelle. Parfois, des incitatifs sont utilisés, faisant en sorte que l’agence reçoit un montant lorsque la cible à atteindre est atteinte.


Le fonctionnement publicitaire est complexe, et nous ne discuterons pas davantage sur cette réalité sur laquelle plusieurs manuels ont été rédigés. Reprenant les informations rédigées par Caron-Bouchard et Renaud il y a plusieurs années, avec quelques ajustements de ma part pour considérer l’arrivée d’Internet dans le monde des communications de masse, je vous présente ci-dessous un aide-mémoire qui définit  les principaux concepts utilisés pour juger de l’ampleur d’une campagne (ce tableau énumère des termes sur lesquels, dans mon expérience, les non-publicitaires butent souvent).


Les publicitaires sont des experts en publicité. Mais une expertise est forcément limitée à certains domaines. Il est simpliste de croire que tous les chirurgiens peuvent transplanter un rein ou greffer une cornée. Il en va de même pour les publicitaires qui, contrairement à ce que certains aimeraient faire croire, ne sont pas automatiquement compétents pour produires des campagnes de publicité sociale du fait qu’ils ont bouclé une formation universitaire.


Le cas particulier de la publicité sociale


Dans le cas de la publicité sociale, cette observation est importante. Vendre du savon et produire une communication qui persuade une personne de reconsidérer ses préjugés raciaux ne sont pas des procédés identiques. Même si certains aiment bien utiliser cette formule pour décrire la publicité sociale (Kotler & Levy, 1969).


Les conséquences d’une communication publicitaire incorrecte peuvent, en certains cas, présenter une menace à la santé des personnes. En certains cas, une publicité pourrait susciter de l’anxiété, provoquer des hésitations à se faire soigner, causer une stigmatisation de personnes ayant des comportements particuliers. Ces nuances, les clients des publicitaires les maîtrisent. Pas les publicitaires. La présence et les interventions de ces clients, tout au long le processus publicitaire, seront donc nécessaires.


Une collaboration qui suit un code particulier


La nécessaire collaboration client/agence n’est pas pour autant une chose facile (Morais, 2007) .


L’industrie publicitaire possède sa propre culture. Le marketing a ses règles, la création artistique les siennes. Le monde de la publicité abrite plusieurs mythes, dont celui qui veut que la créativité est un phénomène impossible à mesurer ou à encadrer, une réalité qui échappe à toute mesure scientifique et objective (Nyilasy & Reid, 2009). Au sein même des agences, la cohabitation des cultures entre les créatifs et les gens de marketing est parfois douloureuse, notent certains auteurs (Hackley, 2003; Kover & Goldberg, 1995).


Le client d’une agence doit donc demeurer responsable et vigilant aux différents moments importants d’une campagne. Et ce, en dépit du fait que certains publicitaires y verront une limite à leur art. L’image du promoteur qui laisse aller une agence, satisfait uniquement de payer la note et faisant aveuglément confiance au publicitaire est une caricature. Et cela n,a rien à voir avec le sérieux ou la compétence d’une agence ou de son personnel.


Le comportement du client : reconnaître ses limites


La présence d’une équipe client/agence  présente cependant un double tranchant : le départage des compétences mutuelles demeure essentiel.


J’ai souvent entendu l’agacement – souvent justifié – de publicitaires recevant les commentaires de clients inexpérimentés qui aimaient jouer au publicitaire, corrigeaient des phrases, corrigeaient les décors, les costumes, le montage des scènes. À quelques occasions, j’ai été témoin de la réécriture complète de messages publicitaires par des cliniciens œuvrant en santé ou des chercheurs (dont, bien sûr, ce n’était pas la formation).


La relation agence/client constitue une collaboration. Elle doit tenir compte du fait que les publicitaires et leurs clients sont partenaires dans l’action, mais que cette relation est une relation d’affaires. Les codes de conduite du milieu des affaires s’y appliquent, incitant au contact amical certes, mais aussi à la relation respectueuse et honnête.


Ce qui vaut pour les deux parties. Le spectacle d’un client méprisant agissant comme s’il négociait l’achat d’une paire de sandales au marché public est affligeant. Le comportement de promoteurs convaincus que les publicitaires ne sont guidés que par la recherche de gains l’est tout autant. Il peut y a voir de mauvaises agences. Il existe aussi de mauvais clients.


Les clients d’agences de publicité gagneront certainement à parcourir le texte de Caron-Bouchard et Renaud qui aborde « les comportements à adopter pour être un meilleur client » (p.140). Je reprendrai  ici une partie de ce contenu, puisque le document d’où il provient est devenu impossible à obtenir :


Il est aussi possible de télécharger ce tableau sur la page suivante.


Le comportement du client : exercer son rôle d’expert-conseil


Du côté client, la naïveté n’a pas de place. Les rencontres entre une agence et son client sont des étapes importantes de cette relation d’affaires. Elles ont cependant une dimension stratégique, pas sociale ou amicale.


Morais (2007) décrit ainsi la nature de ces rencontres : «Although the participants enter these meetings with the common goal of reaching agreement on the ideas that will be advanced to the next step in the creative development process, the attendees have additional, sometimes conflicting, professional and personal objectives. To achieve their objectives, meeting participants must have a command of unwritten rules, understand subtle verbal and nonverbal behavior, comprehend and navigate the delicate client-agency balance of power, demonstrate the craft of negotiation, and impress their superiors.  » (Morais, 2007, p. 150).

Les professionnels des agences de publicité ont généralement une connaissance limitée des mécanismes avec lesquelles la publicité qu’ils produisent fonctionne. C’est le constat surprenant qui nous vient d’une enquête effectuée auprès de 152 cadres et 72 agences publicitaires au Royaume-Uni (Gabriel, 2006). Et rien ne permet de dire que la situation diffère dans d’autres pays.


Les praticiens de la publicité sont généralement sceptiques devant les travaux des scientifiques qui étudient la publicité (Nyilasy & Reid, 2009). Et l’intégration de concepts ou théories venant des universitaires se fait difficilement, comme l’ont constaté les chercheurs associés au projet  québécois « Défi-Santé 5/30 », qui cherchait à promouvoir les saines habitudes de vie au moyen d’un partenariat entre des spécialistes et des médias (Renaud, Caron-Bouchard, Martel, Gagnon, & Pelletier, 2009).


Si un promoteur souhaite intégrer des fondements scientifiques à une publicité sociale il devra demeurer présent tout au long du processus de conception et de production, afin d’aider les publicitaires à « maintenir le cap ». J’ai trop souvent vu des processus où, après avoir présenté un projet de campagne assorti de citations et d’auteurs scientifiques plaisant aux experts, les agences tournaient ensuite la page sur cette étape pour finalement produire une campagne comme ils avaient l’habitude de faire.


Mon conseil aux clients qui souhaitent se lancer dans l’aventure publicitaire sur des fondements théoriques : demeurez présents, soyez disponibles … Vous êtes la source d’expertise théorique dans cette aventure. Vous devrez traduire, expliquer, illustrer pour faciliter l’appropriation des publicitaires et obtenir un résultat conforme à vos attentes. Vous êtes l’expert, c’est un travail que vous seul pourrez faire.  Ceux qui me connaissent reconnaîtront ce message, déjà formulé dans une communication écrite publié dans la revue Santé Publique (Giroux, 2009) et dans plusieurs conférences à des publics d’experts.


 

Sources mentionnées


Gabriel, H. (2006). Advertising planning, ad-agency use of advertising models, and the academic practitioner divide. Journal of Marketing Practice: Applied marketing Science, 24(5), 505-527

Giroux, C. (2009). L'utilisation de l'internet dans les campagnes publicitaires de promotion de la santé : L'expérience du québec. Santé Publique, 21(HS2), 65-72

Hackley, C. (2003). How divergent beliefs cause account team conflict. International Journal of Advertising, 22(3), 313-331

Kotler, P., et Levy, A. (1969). Broadening the concept of marketing. Journal of Marketing, 33, 10-15

Kover, A. J., et Goldberg, S. M. (1995). The games copywriters play - conflict, quasi-control, a new proposal Journal of Advertising Research, 35(4), 52-62

Morais, R. J. (2007). Conflict and confluence in advertising meetings. Human Organization, 66(2), 150-159

Moree, E. A. (1916). Public health publicity v. Newspaper advertising. American Journal of Public Health, 6(7), 730-743

Nyilasy, G., et Reid, L. N. (2009). Agency practitioners' meta-theories of advertising. International Journal of Advertising, 28(4), 639-668

Renaud, L., et Caron-Bouchard, M. (2001). Pour mieux réussir vos communications médiatiques; guide pratique en promotion de la santé. INSPQ, Direction de la Santé publique de Montréal-Centre.

Renaud, L., Caron-Bouchard, M., Martel, G., Gagnon, L., et Pelletier, M.-C. (2009). Gestion complexe de partenariats lors d'une campagne de promotion de la santé. Santé Publiqe, 21(3), 303-317

Wakefield, M., A , Loken, B., et Hornik, R. C. (2010). Use of mass media campaigns to change health behaviour. Lancet, 376(9748), 1261-1271

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