Le prétest publicitaire est une activité de recherche appliquée commune dans les activités de marketing (Sands, 1981). On l’utilise pour éclairer les décisions précédant la production et la diffusion des campagnes. Cette étape permet d’évaluer si le public exposé considère un contenu publicitaire comme informatif, crédible, motivant, persuasif, utile, bien ciblé et agréable tout en n’étant pas moralisateur, perturbant, irritant, ennuyant ou source de confusion (Silk, Atkin, & Salmon, 2011).
Le prétest peut être employé à diverses étapes du processus de campagne, selon les besoins de promoteurs ou des publicitaires, « de la genèse d’une idée jusqu’à la création d’une esquisse et à la mise au point de la version finale appelée à être diffusée » (Belch & Belch, 2008, p. 559). Plus le matériel prétesté se rapprochera du matériel diffusé, bien entendu, meilleure sera la capacité prédictive du prétest. Prétester une idée ou un scénario demeure utile, mais de nombreux détails ajoutés lors de la production (casting, décors, choix photo, costume, musique, découpage, rythme…) peuvent générer des attitudes que le prétest initial ne pourrait prédire.
On peut effectuer un prétest selon différentes modalités :
a) en laboratoire – dans un local spécialement construit pour cela (avec des groupes témoins, des tests de reliure, des tests physiologiques, des tests en cinéma, des tests de lisibilité, etc.) ;
b) sur le terrain – en milieu naturel (avec des tests de reliure ou des tests en ondes);
c) sur le web – avec des participants recrutés. Cette option, possible depuis quelques années, comporte cependant des contraintes et limite l’analyse du non-verbal et des interactions.
Comme les autres activités de recherche en marketing, le prétest répond souvent à un double agenda : « the purpose of research is to evaluate the effectiveness of the advertising messages produced, but many people in the agencies say that its real purpose is to provide rationale for decisions taken by representatives of the client company » (Leiss, Kline, Jhally, & Botterill, 2005, p. 424). Autrement dit, le prétest est souvent utile pour persuader le client des mérites d’un projet publicitaire proposé par les créatifs. Mais, même ’il permet de réduire les incertitudes, le prétest ne parvient tout de même pas à générer les certitudes que certains promoteurs espèrent naïvement y trouver (Laurent, 2006).
Dans le cadre où on l’utilise pour observer les réactions à l’exposition à des projets publicitaires, il permet d’en estimer les forces et faiblesses ainsi que la présence d’impacts indésirables éventuels (Atkin & Freimuth, 1989).C’est ainsi qu’un prétest permettra d’anticiper des risques de dérapages, d’ajuster les actions pour les prévenir ou même de préparer les arguments qui permettront de répondre à de possibles critiques. C’est une mine d’informations pour les responsables des relations publiques qui pourraient devoir gérer des effets pervers toujours possibles, peu importe la qualité d’une réalisation publicitaire.
L’utilisation du prétest est parfois critiquée par des publicitaires offusqués de la confiance exagérée que des clients accordent aux résultats obtenus (Szybillo & Berger, 1979). Effectivement, le groupe de discussion ressemble quelquefois à un tribunal où les commentaires d’une poignée de participants décident de la survie ou de l’abandon de projets publicitaires (Laurent, 2006 ; Schwarzkopf, 2011). La grande popularité dont jouissent les prétests par groupes de discussion dans le milieu du marketing est souvent liée à la perception que cet instrument « deliver face-validity (real people), are simple to understand, are immediate, and provide reassuring « intimacy » with consumers. » (Cramphorn, 2004, p. 175).
Cette popularité est probablement favorisées par l’impression qu’il s’agit d’une technique d’enquête peu coûteuse (Belch, 2008; Krueger & Casey, 2009), assertion que contestent des auteurs jugeant que les groupes ne sont pas « as cheap, easy and quick » (Liamputtong, 2011, p. 2) lorsqu’on y intègre les coûts parfois élevés du recrutement et des incitatifs aux participants (Stewart, Shamdasani, & Rook, 2007). On ne devrait pas choisir des groupes de discussion pour « sauver de l’argent », mais plutôt pour le type d’informations qui seront obtenues.
L’inconfort perceptible de certains professionnels de la publicité se rattache aux tensions générales entre les responsables de la création et ceux de l’évaluation. Les pratiques évaluatives, en marketing, opposent souvent les professionnels de ces secteurs publicitaires (Boyd III, 2006; Hackley, 2003 ; Kover, Goldberg, & James, 1995 ). La préoccupation de quantifier, de juger et de mesurer est étrangère à l’univers des créateurs artistiques et la cohabitation d’épistémologies différentes au sein des équipes publicitaires alimente les tensions (Hackley, 2003), manifestes au moment où on veut évaluer les projets, les stratégies ou les productions.
Les créatifs des agences trouvent pénible d’assister a prétest de leurs idées, allant quelquefois jusqu’à inventer des excuses pour éviter l’inconfort de cette épreuve (Forrest & Prue, 2000) . Pour eux, les tests « ne permettent pas de mesurer réellement la créativité et l’efficacité des annonces publicitaires » (Belch & Belch, 2008, p. 556) et ils freinent la créativité (Leiss et al., 2005). Dans ce contexte, un promoteur cherchant à déterminer le besoin de prétester un projet serait mal avisé d’appuyer sa décision sur la seule opinion des publicitaires qui en sont les auteurs.
L’évaluation des propositions publicitaires est malgré tout généralement considérée comme nécessaire par les responsables des campagnes qui jugent que « one cannot simply assume that campaign materials are effective and that the materials will elicit positive effects… » (Whittingham et al., 2008, p. 217). Et les faits confirment l’utilité des prétests, alors que les publicités prétestées avant diffusion sont plus souvent qualifiées de bonnes et d’exceptionnelles que celles qui n’ont pas été prétestée, et que le taux d’échec des publicités prétestées est inférieur (Belch & Belch, 2008).
La préoccupation des promoteurs de campagnes à l’égard d’effets indésirables est bien fondée. En marketing, de mauvaises campagnes entraînent à la fois la perte de capitaux et d’occasions d’affaires (Belch & Belch, 2008). Même si elles ne reposent pas sur des objectifs lucratifs, les campagnes de publicité sociales peuvent connaître de graves déboires. Une campagne de prévention de la consommation massive d’alcool a déjà, par exemple, mené à une augmentation de la consommation d’alcool par des buveurs modérés (Campo & Cameron, 2006). Dans une recension des différents impacts de campagnes touchant la santé, Cho et Salmon (2007) ont énuméré jusqu’à 11 types d’effets inattendus à éviter, certains s’opposant carrément aux objectifs de la campagne (comme l’illustre le cas d’une campagne contre le tabagisme que 38% des personnes exposées considéraient être une campagne de promotion du tabac (McKenna & Williams, 1993)).
En dépit de la réticence compréhensible des entreprises lorsqu’il s’agit de reconnaître l’inefficacité de certains investissements publicitaires, on trouve dans les publications le récit d’échecs publicitaires (Evans et al, 2009). Dans le cas de toute campagne, le risque d’un échec – toujours possible -- justifie la prudence des clients qui estiment nécessaire d’investir de « substantial resources to efficacy research on advertising campaigns before a single media spot is purchased. » (Evans et al., 2009, p. 318). D’ailleurs, écrit Laurent (2006), on ne devrait pas tester une campagne uniquement lorsque l’on doute d’un projet publicitaire. Le prétest devrait plutôt être considéré comme une étape normale dans tout processus marketing.
Les créateurs publicitaires eux-mêmes font probablement preuve d’une naïveté comparable à celle qu’ils dénoncent chez leurs clients: « a lot of people who are creating print ads these days are doing it based on the lovely ideas that come out of their divine imaginations ‑ and that have nothing to do with how people really see and respond to ads » (Sawyer, 2010, p. 15).
Sources citées:
Atkin, C. K., et Freimuth, V. (1989). Formative evaluation research in campaign design. Dans R. E. Rice & C. K. Atkin (dir.), Public communication campaigns (2ee éd., p. 131-150). Newbury Park, London, New Delhi: Sage Publications.
Belch, G. E. (2008). Communication marketing : Une perspective intégrée. (2e éd.e éd.). Montréal: Chenelière-éducation.
Belch, G. E., et Belch, M. A. (2008). Communication marketing : Une perspective intégrée. (2e éd.e éd.). Montréal: Chenelière/McGraw-Hill.
Boyd III, H. C. (2006). Persuasive talk: Is it what you say or how you say it? Journal of Advertising Research, 46(1), 84-92
Campo, S., et Cameron, K. A. (2006). Differential effects of exposure to social norms campaigns: A cause for concern. Health Communication, 19(3), 209-219
Cho, H., et Salmon, C. T. (2007). Unintended effects of health communication campaigns. Journal of Communication, 57(2), 293-317
Cramphorn, S. (2004). What advertising testing might have been, if we had only known. Journal of Advertising Research, 44(2), 170-180
Forrest, C., et Prue, T. (2000). Advertising research. Dans L. Marks (dir.), Qualitative research in context (p. 59-79). Henley-on-Thames: Admap Publications.
Hackley, C. (2003). How divergent beliefs cause account team conflict. International Journal of Advertising, 22(3), 313-331
Kover, A. J., Goldberg, S. M., et James, W. L. (1995). Creativity vs effectiveness? An integrating classification for advertising. Journal of Advertising Research, 35(6), 29-40
Krueger, R. A., et Casey, M. A. (2009). Focus groups : A practical guide for applied research. (4 ièmee éd.). Los Angeles: SAGE.
Laurent, F. (2006). Études marketing. Des études de marché au consumer insight. Marsat (France): Pearson Education France.
Leiss, W., Kline, S., Jhally, S., et Botterill, J. (2005). Social communication in advertising : Consumption in the mediated marketplace. (3ièmee éd.). New York: Routledge.
Liamputtong, P. (2011). Focus group methodology : Principle and practice. London: SAGE.
McKenna, J. W., et Williams, K. N. (1993). Crafting effective tobacco counteradvertisements - lessons from a failed campaign directed at teenagers. Public Health Reports, 108, 85-89
Sands, S. (1981). How much should you spend on a marketing pretest? A short-cut approach. Interfaces, 11(4), 62-66
Schwarzkopf, S. (2011). The consumer as ‘‘voter,’’ ‘‘judge,’’ and ‘‘jury’’: Historical origins and political consequences of a marketing myth. Journal of Macromarketing, 31(1), 8-18
Silk, K. J., Atkin, C. K., et Salmon, C. T. (2011). Developing effective media campaigns for health promotion. Dans T. L. Thompson, R. Parrott & J. F. Nussbaum (dir.), The routledge handbook of health communication (2nde éd., p. 203-219). New York: Routledge.
Stewart, D. W., Shamdasani, P. N., et Rook, D. W. (2007). Focus groups : Theory and practice. Newbury Park, Calif.: Sage Publications.
Szybillo, G. J., et Berger, R. (1979). What advertising agencies think of focus groups. Journal of Advertising Research, 19(3), 29-33